Une nécessaire adaptation du modèle de l’EHPAD

Depuis quelques années, une grande réflexion est lancée autour du fonctionnement des EHPAD. Alors que le « papy-boom » approche à horizon 2030, et que de plus en plus de personnes âgées ne veulent plus vivre dans un EHPAD sur le modèle actuel et souhaitent rester chez elles le plus longtemps possible, une nécessaire mutation et ouverture doit rapidement être opérée. 

Dans ce droit fil, la ministre déléguée à l’autonomie, Brigitte Bourguignon, a annoncé en juillet 2021 les priorités gouvernementales du Ségur de la santé et du plan de relance pour l’investissement en s’appuyant sur la formule « L’EHPAD est mort, vive l’EHPAD ». Ainsi, elle a confirmé que ce plan d’investissement sera l’occasion d’une redéfinition globale de l’offre d’hébergement autour de 3 fondamentaux :

  • Des EHPAD plus médicalisés avec le renforcement du soutien médical, la création d’EHPAD « centres de ressources » et de filières gériatriques d’excellence.
  • Des EHPAD véritables lieux de vie
  • Des EHPAD ouverts sur l’extérieur

Une transformation profonde, pour laquelle la ministre a souhaité signer une convention liant la CNSA et la Caisse des Dépôts jusque 2026, qui va accompagner la stratégie des territoires, soutenir massivement la rénovation du parc existant et la réalisation de nouvelles solutions d’hébergement et développer des solutions innovantes.

Afin de réfléchir à des solutions à mettre en place pour faire de l’EHPAD de demain un lieu plus accueillant et inclusif, où chacun puisse se sentir chez soi, le Think Tank Matières Grises s’est également astreint à l’élaboration du rapport « L’EHPAD du futur commence aujourd’hui, Propositions pour changement radical de modèle », dans lequel il donne des pistes d’actions pour opérer ce changement de modèle.

Dans ce document de 80 pages, tout en concédant que le maintien à domicile le plus longtemps possible est la solution que beaucoup privilégient aujourd’hui, et que des offres alternatives d’hébergement comme les résidences seniors se développent, les auteurs pointent en premier lieu que demain les EHPAD continueront de constituer l’offre centrale de la prise en charge des personnes les plus touchées par la perte d’autonomie notamment psychique.

Les auteurs partent par ailleurs du postulat que l’EHPAD de demain devra aussi prendre en compte le fait que les futurs 85 ans et plus sont ceux qui ont vécu toute leur vie dans des logements souvent spacieux et de qualité, ainsi que la pression de l’opinion publique qui somme d’orienter autrement les EHPAD, trop souvent assimilés à l’enfermement et la contrainte. Dès lors, il propose d’engager 3 grands chantiers.

Méthodologie

Le rapport « L’EHPAD du futur commence aujourd’hui » a été élaboré grâce à 107 auditions d’experts et spécialistes, une revue de la littérature, un recueil des positions des fédérations représentatives du secteur, 198 contributions écrites transmises par des directeurs d’établissements, professionnels, institutions et collectivités, ainsi qu’une consultation sous la forme de sondages auprès de directeurs d’établissements, ou encore des témoignages et expertises des groupes adhérents du Think Tank.

CHANTIER 1 – Du « bienvenue chez nous » au « bienvenue chez vous »

Au commencement d’un changement de modèle de l’EHAPD il convient de placer la personne âgée au cœur du dispositif. Si le statut des personnes âgées a considérablement évolué au cours des dernières décennies, il devra changer encore plus radicalement d’ici 2030 pour répondre aux aspirations des futures générations de résidents. Ainsi, les maitres-mots devront être : libre-choix, autonomie, consentement, liberté, participation effective à la vie de l’établissement, place des familles, respect de l’intimité, éthique.

De plus, le virage domiciliaire doit aussi s’appliquer à l’EHPAD, et l’organisation de l’établissement doit s’adapter à cette nouvelle donne

Selon le rapport, plusieurs objectifs sont à mettre en place pour ce faire. Voici leurs recommandations :

Objectif 1 : Je suis en EHPAD, je suis chez moi

La personne âgée étant chez elle, elle voudra demain vivre de façon autonome, selon ses propres règles. Ainsi, la « praticité », les contraintes organisationnelles ou les normes de sécurité ne seront plus des excuses valables pour imposer aux résidents l’heure de leur toilette ou le menu de leur déjeuner, pour s’introduire dans leur domicile sans autorisation ou encore pour empêcher deux résidents de passer la nuit ensemble. La personne devra primer sur l’institution. Pour ce faire, plusieurs axes d’actions sont à mettre en place :

À chacun son rythme 

La personne âgée devra pouvoir :

  • Se lever et se coucher quand elle le souhaite
  • Manger quand elle a faim
  • Solliciter de l’aide quand elle en a besoin

À chacun son menu

L’EHPAD devra pouvoir proposer

  • Une alimentation plus saine, plus responsable (agriculture bio, circuits courts, etc…)
  • Une alimentation plus diversifiée en laissant le choix de leur menu aux résidents (buffets, possibilité de choix entre plusieurs plats la veille, possibilité de commander partout, à tout instant rendu possible par exemple avec la création d’un réseau de restaurants locaux labellisés ou la venue de food truck)

La liberté avant la sécurité

Aujourd’hui, la culture hyper sécuritaire de l’EHPAD entrave les libertés de la personne âgée. Demain l’établissement devra pouvoir :

  • Lâcher prise pour donner la priorité aux désirs et à la liberté d’agir des résidents
  • Laisser aux résidents la liberté d’aller et venir
  • Accepter une part de risque

Un lieu de vie avant d’être un lieu de soin

Un véritable changement de paradigme doit être opéré :

  • Les professionnels ne travailleront pas pour l’institution mais devront être au service de chaque personne au sein de son domicile
    • L’intervention soignante devra être plus discrète

Objectif 2 : Un habitant citoyen plutôt qu’un résident

Comme les mots ont un sens, demain il conviendra demain de parler d’habitants plutôt que de résidents, puisqu’ils seront chez eux, et de citoyens, qui voudront de plus en plus systématiquement être entendus et écoutés.

Écouter et entendre l’habitant-citoyen

Demain, l’EHPAD ne devra plus faire l’impasse sur l’implication citoyenne des résidents. Pour ce faire, l’établissement devra tout d’abord impliquer les habitants dans les décisions de la vie de l’établissement.

Par ailleurs, il conviendra de s’assurer de laisser le choix aux habitants et qu’ils puissent communiquer librement leur préférence, leur consentement ou leur refus face à ce choix. Faciliter cette expression pourra passer par exemple, pour les personnes qui en auront les capacités, par l’utilisation d’une tablette numérique sur laquelle elles pourront choisir leur menu, voter pour le film du mercredi soir, ou encore alerter l’équipe qu’elles sont levées. Mais cette population ne représentera par la majorité des résidents de l’EHPAD de 2030. L’enjeu sera donc d’identifier comment faciliter l’expression du choix des autres résidents, ceux avec qui la communication est restreinte ou très complexe.

Faire du client un roi avant d’être un GIR

La personne devra être appréhendée dans toute son individualité, en se basant sur une présomption d’autonomie et de compétence et non l’inverse. Les équipes devront aussi être attentives aux envies, aux souhaits et aux choix de la personne.

Respect total

Le tutoiement, qui peut parfois apparaitre comme bienveillant ou sympathique, ne devra plus être subi par les personnes âgées sans leur autorisation expresse. Idem pour le ton de la voix qui se veut parfois protecteur et qui est en réalité totalement infantilisant.

Objectif 3 : Donner toute sa place à la famille

Familles et habitants, seuls maîtres de leur relation

L’EHPAD de demain ne pourra plus appliquer des règles aussi dérogatoires que l’interdiction des visites des familles. Ce qui s’est passé en 2020 ne sera pas acceptable ni pour les personnes âgées ni pour leurs proches, ni pour les professionnels qui les accompagnent : demain, nul ne pourra retirer à une famille son droit de visite. Plus loin, familles et résidents devront pouvoir se voir quand ils le voudront, par exemple grâce à la mise en place de digicodes à l’entrée de l’établissement, ou de système d’inscription en ligne pour les visites.

Dans ce droit fil, les établissements devront se montrer agile pour faciliter et encourager la venue des familles

Les familles, protagonistes de la vie de l’EHPAD

Au-delà de leur impact sur le bien-être de leurs proches, les familles jouent aussi, pour certaines présentes quotidiennement, une place d’aidant bénévole non négligeable. Une ressource qu’il convient donc d’encourager à s’investir.

Pour un EHPAD, les familles jouent aussi le rôle de prescripteur voire de payeur.  Aussi pour ne pas les limiter à leur rôle de visiteur, il conviendra de nécessité de les associer de façon encore plus importante aux prises de décision en rénovant le CVS, mais également à travers l’organisation d’ateliers collaboratifs, la création d’espaces semi-collectifs plus intimes ou encore l’ouverture des horaires de l’établissement.

Objectif 4 : des lieux de vie ouverts sur leur environnement, ancrés dans leur territoire

L’obsession du risque zéro a eu tendance parfois à se traduire par une bunkérisation des établissements. Or l’ouverture des établissements est sans conteste un élément de vie sociale renforcée pour les résidents. Pour ce faire, les leviers d’actions pour multiplier les interactions peuvent être multiples : faire rentrer dans l’EHPAD des intervenants extérieurs, permettre aux résidents de se voir proposer des activités extérieures… Cela peut notamment passer par :

  • La création de liens entre chaque EHPAD et une école primaire ou un collège ;
  • Le jumelage de chaque EHPAD avec un club sportif local en lui permettant par exemple un entrainement dans le parc, de prendre les repas d’après match restaurant de l’EHPAD ou encore d’animer des activités physiques adaptées ;
  • Le positionnement de l’EHPAD comme lieu d’accueil de la vie associative et de diffusion culturelle, les associations étant souvent à la recherche de lieux pour réaliser leurs activités, ou proposer des conférences.

Mais l’EHPAD peut aussi demain devenir un lieu de convivialité et de services au bénéfice de la population locale grâce :

  • À son restaurant qui pourrait accueillir des convives extérieurs
  • À son accueil qui pourrait être un point relais pour les colis
  • À l’installation de la télémédecine
  • À l’organisation d’activités sportives adaptées

CHANTIER 2 : REPENSER L’ARCHITECTURE ET LES ESPACES

Objectif 1 : Des logements plutôt que des chambres

Aujourd’hui, l’agencement des espaces en EHPAD reste très proche de celui des hôpitaux.

Afin de casser cette image, l’EHPAD de 2030 ne devra plus être constitué de chambres, mais de logements. Pour ce faire, il convient de :

  • Repenser la place du lit qui ne doit plus être au centre de la pièce, et résumer le logement de la personne ;
  • Pouvoir rendre le logement personnalisable en laissant les personnes venir avec leurs meubles dans la limite de l’espace disponible, et même en allant jusqu’à proposer de choisir la couleur des murs du logement ;
  • Proposer des tailles, des formes et donc des tarifs différents pour les logements ;
  • Installer des sonnettes et des boîtes aux lettres à l’entrée de chaque logement ;
  • Augmenter les surfaces privatives en passant au minimum à 26m2, avec pour objectif 30m2.

Objectif 2 : S’approcher de l’ambiance comme à la maison

Si l’EHPAD ne pourra jamais remplacer la maison dans laquelle la personne vivait auparavant, rien n’empêche de tout faire pour que ce lieu créer les conditions d’un accueil le plus confortable possible et une atmosphère la plus domestiquée possible. Cela passe par exemple par :

  • Un travail autour de la lumière qui doit viser à :
    • Favoriser l’arrivée de la lumière naturelle,
    • Proscrire les faux plafonds hospitaliers,
    • Multiplier les petites sources de lumière artificielle
  • Un travail sur les matières des sols et murs qui :
    • Ne peuvent plus être pensés uniquement de façon pratique
    • Permette de s’autoriser du beau pour donner un aspect plus domestique

Objectif 3 : Et si le collectif laissait la place au semi-collectif ?

Demain, la vie en grande collectivité ne devra plus s’imposer à tous et partout. Ainsi, les mots d’ordre de l’EHPAD de 2030 devront être « segmentation » et « diversification ». Le semi-collectif, la modularité ou encore la diversification des ambiances devront peu à peu devenir la norme.

Finie la salle à manger pour 100 personnes

Afin de privilégier le semi-collectif, l’établissement devra favoriser les petites salles à manger et petits salons. La segmentation des salles pourra être rendue possible, par exemple grâce à des parois amovibles qui laisseront la possibilité d’organiser parfois de plus grands rassemblements.

Diversification des lieux et des ambiances

La diversité des ambiances devra aussi concerner les couloirs afin d’y rendre la circulation moins ennuyeuse. Pour ce faire, l’établissement pourra y installer de vieux meubles afin de les équiper comme une grande résidence familiale. Ces espaces de circulation pourront ainsi devenir des lieux de vie et créer un pallier d’intimité entre l’espace hyper collectif et le logement privatif.

Grâce à la mise en place de parois amovibles, les bâtiments pourront aussi être flexibilisés pour assurer leur ouverture vers l’extérieur. Si l’on dispose d’une multitude d’espaces distincts, il sera en effet plus facile d’oser installer des choses au sein de l’EHPAD : installation d’espace de coworking, de pop-up store, ou encore de galeries, en sont quelques exemples.

Créer des quartiers à la place de chaque unité

Afin de sortir de la dynamique institutionnelle de l’unité, les EHPAD pourront demain mettre en place des quartiers qui fonctionneront de façon autonome sur toutes les dimensions de l’accompagnement. Chaque quartier sera ainsi équipé comme s’il était le cœur de l’EHPAD : place du village, espace collation, kiosque à journaux, bancs devant les logements y seront installés. Ce fonctionnement proposera aux résidents une vie sociale en plus petite communauté et l’impression d’habiter son propre immeuble. Dans ce droit fil, il convient aussi de créer des entrées distinctes dans l’EHPAD pour les habitants d’une part, et les visiteurs d’autre part.

Objectif 4 : Le soin, hors de ma vue

Demain, les EHPAD devront planquer le soin qu’on ne veut plus voir car il évoque la médicalisation et la dépendance. Il ne s’agit pas de nier le soin dont ont besoin les résidents, mais de ne plus le voir primer partout, tout le temps. Pour ce faire, les établissements devront imaginer une dissociation physique de la partie habitation et de la partie services, en pensant les espaces professionnels à proximité mais en dehors des espaces de vie des résidents.

Objectif 5 : L’EHPAD au cœur de la société et de ses défis

Ne plus vivre caché

Afin de répondre aux attentes de leurs habitants, les nouveaux EHPAD devront s’implanter stratégiquement pour pouvoir s’ouvrir sur la vie de leur quartier. Mais au-delà, l’EHPAD de 2030 devra aussi faire entrer la vie : installation d’espace de co-working, de boutique éphémère, de galerie, d’espace de vente de produits locaux, ou encore de bibliothèque… Chacun devra réfléchir pour construire les tiers-lieux de demain.

Surfer sur l’opportunité numérique

Si le numérique est aujourd’hui comme un défi par les EHPAD, il sera demain source de nombreux atouts. Ainsi, les établissements doivent dès maintenant surfer sur l’opportunité qui leur est offerte au travers le plan numérique pour les établissements sociaux et médico-sociaux qui prévoit une aide à hauteur de 600 millions d’euros pour les équiper.  Tablettes et Internet seront en effet les objets du quotidien des résidents de 2030, et il est donc indispensable de flécher utilement les crédits prévus au plan ESMS numérique, et de travailler sur la sécurisation des données.

Des EHPAD plus verts

La société et les résidents de demain auront de fortes attentes sur la question écologique. Les établissements doivent donc dès maintenant agir sur les questions environnementales, notamment à travers leur bâti. D’autant que la loi ELAN impose des objectifs ambitieux de réduction de la consommation d’énergie des ESMS à horizon 2030. Le secteur doit donc être prêt à cette révolution verte, notamment grâce à la formation des directeurs.

Le Think Tank propose aussi dans son rapport la création d’un plan national « ESMS Ecologie 2030 », qui sera en mesure d’accompagner les opérateurs dans la transition écologique, en les transformant en véritables acteurs de cette révolution.

CHANTIER 3 : RENDRE POSSIBLE L’EHPAD PLATEFORME

Les innovations sémantiques ont fleuri ces dernières années pour décrire des formules de dépassement de l’EHPD classique. Celui-ci pourra être demain EHPAD plateforme, EHPAD hors les murs, EHPAD à domicile, pôle de services gérontologiques… Des dispositifs qui ont éclos sous les régimes juridiques et financiers dérogatoires, notamment celui de l’article 51 de la LFSS de 2018.

Mais au-delà de ces innovations, le Think Tank Matières Grises appelle dans la dernière partie de son rapport « L’EHPAD du futur » à un bouleversement radical en plaidant pour un EHPAD plateforme.

L’EHPAD possède en effet de nombreuses aubaines pour devenir un véritable centre de ressources territorial pour un public bien plus vaste que ses résidents. Il est ainsi tout d’abord un espace qui peut accueillir des activités provenant de l’extérieur, mais offre de la restauration ou encore des activités d’animation qui peuvent être ouvertes à une pluralité d’habitants.

Par ailleurs, l’EHPAD doit aussi être appréhendé comme un atout territorial, jusqu’ici insuffisamment pris en compte dans la bataille contre le désert médicaux. Ainsi, si la France doit se doter de maisons de santé pluridisciplinaires, elle doit aussi pouvoir s’appuyer sur le vaste réseau d’EHPAD qui peut, notamment en milieu rural, servir d’appui à la dispensation de soins.

Enfin, le rapport appelle à mettre fin à l’étanchéité qui persiste depuis des décennies entre l’aide à domicile et les EHPAD, qui ont le même objectif commun : prendre en charge les personnes âgées devenues fragiles.  L’EHPAD plateforme a ainsi pour objectif de sortir de cette offre binaire et de coordonner les services existants en portant un vaste bouquet de services relevant du soin, de l’aide, de l’accompagnement, de la nutrition, de la prévention ou encore de la mobilité, qui seront accessibles aussi bien aux résidents qu’aux personnes âgées demeurant à domicile.

En résumé, l’EHPAD doit ainsi devenir :

  • Une plateforme IN qui consistera à le transformer en pôle ressources pour les personnes âgées du territoire qui convergeraient vers ce lieu
  • Une plateforme OUT qui visera à capitaliser sur son expertise pour déployer ses services sur le territoire au-delà de ses murs et d’aller ainsi jusqu’aux domiciles des personnes âgées qui ont besoin d’être accompagnées chez elle

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